Le bouton de nacre, tout un art !

Posté par: Redac Web Catégorie: Nacre Le: Commentaire(s): 0 Vue(s): 4842

Le bouton de nacre, tout un art !

Chers amis,

Aujourd’hui, 15 avril 2021, c’est la journée mondiale de l’Art.

Depuis 2019, ce rendez-vous mis à l’honneur par l’UNESCO se focalise sur la création artistique et explore les liens tissés entre créativité, territoire et population.

Ouverture du dialogue, influence des cultures et curiosité sont ainsi des thématiques chères à cette date particulière, et c’est pourquoi j’ai décidé de saisir cette occasion pour partager ma passion pour le travail de la nacre.

Alors bien évidemment, le confinement est passé par là, et cette année, pas de musées, d’expositions, de galeries ni de jardins ou de parcs à visiter. Mais l’outil digital a au moins cette vertu, celle de rendre visible…utilisé à bon escient, je pense même que c’est un formidable vecteur d’informations !

Aujourd’hui, je vous emmène donc dans l’univers des boutons de nacre, qui, à mon sens, représente des trésors d’inspiration, de savoir-faire, d’audace et de raffinement. Pour moi, cet artisanat mérite vraiment le qualificatif d’artistique, tant les pièces réalisées peuvent être surprenantes !

Au fil de l’article, vous pourrez voir que je suis aussi un peu collectionneuse : les photos sont celles de ma collection personnelle et je suis contente de les partager avec vous.

Vous allez découvrir comment un bouton de nacre est fabriqué. Vous serez sûrement surpris d’apprendre qu’il ne faut pas moins de dix-sept étapes pour réaliser une seule petite pièce, aussi simple soit-elle !

Enfin, cet article est aussi l’occasion de plonger dans ce territoire du pays des Sablons, berceau de la tabletterie…revenir aux racines, en somme. 

Méru et ses environs, le berceau de la tabletterie

Comme je l’évoquais en introduction, Méru et ses villages constituent, dès le XVIIe siècle, un territoire réputé pour la fabrication d’objets de tabletterie, c’est-à-dire réalisés en os, ivoire, corne, bois ou nacre. On fabrique alors des éventails, des dominos, de petites figurines dans ces matières fines et délicates, et bien d’autres pièces raffinées encore !

Il faut toutefois attendre le XVIIIe siècle pour voir le développement de la tabletterie dans les cantons de Méru et de Noailles. Entre 1760 et 1791, deux mille personnes sont ainsi attirées sur les communes de Méru, Andeville, Saint-Geneviève, Laboissière et Cauvigny. Imaginez que Méru occupe alors la place de petite capitale de la nacre, et sert d’étape transitoire pour l’acheminement des pièces vers Paris, où se trouve la clientèle pour ces objets précieux !

La proximité de la capitale favorise donc l’émergence puis le développement de cette industrie qui s’élève très vite au rang d’art, sous les doigts d’ouvriers particulièrement doués et inventifs. Entre 1830 et 1890, on constate un développement important de cette activité, notamment grâce au perfectionnement de certaines techniques, contribuant à faire émerger une tabletterie de luxe, propice à la renommée de ce territoire rural. 

À l’époque, chaque village a sa spécialité : Sainte-Geneviève et ses éventails, Méru et la dominoterie, Cauvigny et Laboissière pour la corne et les brosses, Andeville pour la nacre…on centralise les compétences !

L’essor et le déclin de la boutonnerie

De 1880 à 1920, la boutonnerie de nacre connait ainsi un essor considérable, entre travail à domicile et grandes usines équipées de machines à vapeur. Même si ces dernières sont plus rares, les villages de Andeville, Sainte-Geneviève, Le Déluge, Corbeil-Cerf, et bien d’autres voient peu à peu des boutonneries s’ouvrir. En 1912, on n’en compte pas moins de 45 réparties sur huit villages, c’est dire l’importance de cette activité, nourrissant des familles entières, sur plusieurs générations. 

Mais, à partir de 1920, sous l’effet de la guerre de 14, la reprise s’annonce difficile et la production ralentit. La dévaluation du franc finit d’accélérer ce déclin et entre 1920 et 1938, quinze établissements ferment leurs portes, mettant 1500 ouvriers dans la difficulté. 

La Seconde Guerre mondiale accélère le processus, et malgré un léger sursaut après le conflit, l’arrivée des matières plastiques porte le coup de grâce…les usines voient leur personnel diminuer, puis les unes après les autres, ferment. 

Dix-sept étapes pour fabriquer un bouton !

Malgré tout, la fabrication des boutons de nacre reste un patrimoine à valoriser. Vous allez voir que sous ce simple petit bouton, se cache un savoir-faire unique et tout à fait singulier, que je vous ai résumé en quelques paragraphes…

Allez, c’est parti !

Trier et découper

Pour fabriquer un bouton de nacre, on employait majoritairement le troca, coquillage pointu que les ouvriers recevaient dans des sacs. On les triait le plus souvent à l’œil en fonction de leur diamètre, en vue de la taille des futurs boutons.

On découpait ensuite à l’aide d’un tour chaque pion (on ne parle pas encore de bouton à cette étape-là !), en réalisant plusieurs empiècements dans chaque coquille. L’ouvrier devait veiller à ne pas trop se rapprocher du bord, à ne pas casser la coquille, tout en produisant un maximum : payé à la pièce, il fallait aussi être productif !

Décaper

Dans un baquet rempli d’acide sulfurique, les pions étaient décapés pendant environ un quart d’heure pour être débarrassés du calcaire, et de l’aspect brûlé laissé par le tour lors du découpage. Ensuite poncés au tonneau de fer, mélange d’eau, de marbre concassé et parfois de grès, les pions tournoyaient ainsi plusieurs heures…

Écroûter

L’idée était de réduire l’épaisseur du pion et de le rendre parfaitement plat, tout en enlevant la croûte, qui, plus poreuse, dégorgerait sur le textile si jamais elle n’était pas intégralement retirée. On utilisait pour cela une machine à ruban et une meule.

Tourner

Il s’agissait ici de donner sa forme au bouton : bombé, avec un bourrelet ou une cuvette, on utilisait un tour à bouton ainsi qu’une mèche ou une meule. Il fallait que le pion soit bien stable et l’ouvrier devait faire preuve de beaucoup de dextérité. Selon la nature de la coquille (troca, palourde, burgeau…) le geste était différent et il requérait plus ou moins de force. Véritable savoir-faire, l’appréciation de l’ouvrier était cruciale dans la bonne exécution de cette étape !

Percer

On perçait ensuite le bouton de deux ou quatre trous grâce à une perceuse placée sur un tour.

Graver

Les plus beaux boutons étaient gravés. Souvent, on retrouve des femmes à l’habileté reconnue sur ce poste, qui répétaient des gestes mesurés et précis, pour conserver une gravure à la profondeur égale sur toute la pièce.

Poncer au tonneau de bois

On éliminait ici les rayures provoquées par les différents outils et on adoucissait les arêtes en surface. Les boutons étaient plongés dans des tonneaux remplis d’eau et de fine pierre ponce, et le temps de ponçage était variable, selon l’effet recherché et la nature du coquillage. Bien évidemment, les boutons gravés étaient moins longtemps poncés, afin de conserver la finesse de leurs ornements.

Polir à l’acide

On obtenait grâce à cette opération ce qu’on nomme le premier brillant, par un savant mélange d’acides. Le tonneau tournait au maximum quarante-cinq minutes, et l’ouvrier prélevait un bouton en cours de polissage, l’essuyant sur sa manche pour observer les effets de son mélange…

Polir à la sciure

Le brillant final était obtenu grâce à cette ultime opération de polissage. Pendant une quinzaine d’heures, un tonneau recevait les boutons mêlés à de la sciure et à des produits à « brillanter ».

Blanchir les boutons

Beiges à l’état naturel, les boutons étaient blanchis grâce à de l’eau oxygénée.

Teinter

En fonction de la taille, du type de coquille, de sa forme et de la partie du coquillage utilisée, le teinturier devait choisir le meilleur procédé. Souvent, il recevait des échantillons de tissus auxquels il devait s’accorder !

Conditionner

On triait et conditionnait les boutons avant de les vendre. On les passait au tamis, on les vérifiait et on éliminait ceux qui étaient ébréchés, on les classait en deuxième ou troisième choix, on les comptait grâce à la grosse (pelle avec 144 alvéoles !), puis les plus beaux boutons étaient encartés sur différents types de cartes, ou vendus en vrac…

Voilà, j’espère que ce rapide coup d’œil vers ce savoir-faire ancestral vous permettra de regarder ces petits boutons différemment ! Dans tous les cas, si vous avez des envies de nacre, je vous invite à consulter mon coin mercerie…

À très vite pour un nouvel article !

Bibliographie :

Laurence Bonnet, La nacre, la tabletterie, le bouton, l’éventail, Editions District des Sablons, 1998, pages 14-18 et pages 44-49. 

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